C’est une semaine bien particulière qui s’achève : celle du Congrès International de l’Expatriation au Féminin. L’initiative a été lancée par Anne Beaufreton, experte de l’expatriation puisqu’elle-même ayant été expatriée. Elle est la fondatrice de Femmes de Projets, une entreprise qui accompagne les femmes expatriées ou en retour d’expatriation et qui souhaitent se lancer dans l’entreprenariat. Mais pourquoi donc un congrès de l’expatriation au féminin et qui plus est en ligne ? Au féminin car les femmes en situation d’expatriation doivent faire face à de multiples challenges et que c’est un thème qui jusqu’à maintenant, n’a pas été pleinement abordé. En ligne, de façon à ce que toutes les femmes françaises et francophones expatriées puissent se connecter et assister aux conférences d’expertes. Au travers de 11 conférences, à raison de deux par jour, différentes femmes, actuellement ou anciennement expatriées, ont abordé différents aspects propres à l’expatriation telles que la possible sensation d’isolement, l’apprentissage de la langue, la confrontation à une nouvelle culture, mais aussi pour certaines femmes une situation nouvelle de dépendance financière à leur mari. Bien que certaines femmes décident de s’expatrier de leur propre initiative, dans 90 % des cas, les femmes sont suiveuses, ou plutôt accompagnatrices pour reprendre le terme de Cristina Filipe Araujo, de leur mari et il n’est pas forcément aisé pour elles de trouver une activité professionnelle sur place. Dans bien des cas, les femmes mettent leur carrière, ou tout du moins leur activité, entre parenthèses, le temps de l’expatriation, temps qui peut s’avérer plus ou moins long. Leur défi principal est alors de se réinventer afin de s’épanouir, de ne pas se démoraliser et de souffrir du « trou dans le CV ». Etant moi-même femme expatriée et blogueuse, j’ai décidé de parler de mon expérience au regard des conférences auxquelles j’ai assisté.
1 – S’expatrier : une décision de couple.
Premièrement, l’expatriation est une décision de couple. Problème : pour nombre de femmes qui accompagnent leur conjoint, les sentiments de rancœur peuvent facilement naître. Parfois frustrée de notre situation dans notre pays d’adoption, il est alors facile de blâmer l’époux et de lui jeter à la face les sacrifices que l’on a fait pour lui. C’est hélas du vécu. C’est que les choses sont complexes. S’il s’agit d’un projet à deux, ou plus largement de famille lorsque des enfants entrent en jeu, la réalité à l’arrivée peut se révéler déconcertante. De nombreuses difficultés se posent pour la femme accompagnatrice :
Obtention du visa et du permis de travail : dans mon cas, cela s’est révélé être le parcours du combattant et j’en parle dans cet article.
Valorisation de son CV et de son expérience professionnelle française à l’étranger : dans bien des cas les diplômes français ne sont pas reconnus et même si je possède un Master mexicain, je ne dirais pas que ça m’ait aidé.
Adaptation à un nouvel environnement parfois plus longue que ce que l’on avait imaginé : les repères sont parfois difficiles à trouver, il est nécessaire d’apprendre la langue pour gagner une autonomie rapide.
Angoisse du temps qui passe : au fur et à mesure que les jours défilent et que l’on bataille pour trouver une activité professionnelle on commence à se questionner sur sa valeur, notre estime de soi diminue, on perd confiance.
Dépendance financière : dans beaucoup de cas, la femme travaillait en France et se retrouve soudainement en situation de dépendance à son époux, ce qui est dans bien des cas un nouveau statut difficile à gérer mais je l’aborderai dans le prochain paragraphe.
Nouvelle vie sur un salaire : dans certains cas, les contrats d’expatriation permettent un confort de vie qui serait impossible en France mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois il s’agit de contrats locaux et la situation de l’expatrié qui possède maison et voiture de fonction assortis à un salaire élevé relève du mythe. Trop souvent, on a tendance à imaginer les expatriés comme des gens privilégiés mais c’est loin d’être toujours vrai.
Manque des proches: passé la vague d'émotions liées à notre récente installation à l'étranger , il arrive un moment où l’on se retrouve un peu face à soi-même et où le manque de la famille et des amis peut se faire ressentir. C’est normal mais on n’est pas toujours armé pour bien le gérer.
Toutes ces difficultés sont bien réelles et bien qu’on en ait une vague idée avant le départ, les vivre au moment de son installation peut déclencher une grande secousse sismique intérieure. A cet égard, j’ai beaucoup apprécié la conférence de la psychologue Magdalena Zilveti Chaland qui a parlé de tous ces challenges sur un ton calme et posé, et qui a proposé des pistes d’action pour mieux gérer ces situations. Comme elle le disait, la quête d’un idéal de soi nous pousse bien souvent à placer la barre très haut et à minimiser notre chemin parcouru. On a tendance à s’évaluer par rapport aux autres, ou tout du moins d’après la perception que l’on a d’eux, et ça ne peut contribuer à nous faire sentir mieux. Lorsque rien ne va plus, Magdalena proposait de nous concentrer alors sur nos valeurs, nos besoins, nos objectifs, nos atouts et notre motivation, afin d’identifier précisément les problèmes qui nous gênent et à partir de là, pouvoir définir des pistes d’action.
Enfin, un autre aspect que l’on peut rencontrer dans l’expatriation en couple et qui a été mentionné par Esmeralda, une auditrice de la conférence, est le fait d’expérimenter « une certaine perte d’identité lorsque l’on suit son conjoint d’une autre nationalité ». J’ai été touchée d’entendre cela car c’est quelque chose qui fait écho en moi dans la mesure où je suis mariée à un Mexicain et que nous vivons dans son pays. Une telle immersion est source de richesses mais peut parfois mener à se sentir effacée. J’explique dans cet article comment le fait de vivre à l’étranger m’a amené à prendre conscience de ma propre identité.
Andy et moi dans les montagnes mexicaines, crédit photo: Jonathan Beiko
2 – Une possible dépendance financière
Comme je le mentionnais précédemment, l’expatriation peut dans certains cas conduire la femme à une situation de dépendance financière. Parfois, c’est la femme qui possède le contrat d’expatriation et son époux qui la suit (mais c’est plus rare) et parfois la femme part seule en contrat d’expatriation ou en contrat local, mais majoritairement, dans le cas des françaises ce sont elles qui accompagnent leur conjoint. Certaines trouvent du travail rapidement localement et d’autres se heurtent à des obstacles. En nouvelle situation de dépendance, les choses peuvent être difficiles à gérer, notamment au sein du couple. A cet égard, la conférence de Catherine Oberlé portait sur le thème suivant : l’argent au féminin. Elle a expliqué en quoi implicitement, la notion d’argent était associée à la notion de pouvoir et que beaucoup d’entre nous font l’erreur de s’identifier à l’argent, sous-entendu : « Je vaux quelque chose si j’ai de l’argent ». Elle a insisté sur le fait que la communication était alors primordiale dans le couple car l’argent est un sujet à la fois personnel, culturel et social : notre rapport à l’argent est individuel et en grande partie déterminé par notre milieu social et l’éducation que nous avons reçu. En réalité, l’argent vient nous chercher au fond de nous-mêmes en fonction des modèles dont nous avons été témoins, dans notre famille et dans notre environnement en général. Problème : il est assez commun que lorsque les femmes abordent le thème de l’argent, on les accuse d’être vénales. L’argent est bien souvent un tabou et beaucoup de couples n’en parlent pas de manière frontale, or c’est primordial en expatriation.
Dans mon cas, en France, je travaillais. J’ai été infirmière pendant une brève période, puis j’ai occupé un poste de directrice adjointe de crèche en région parisienne. Par la suite, parce-que je souhaitais grandir professionnellement et parce-que j’avais soif du monde, j’ai poursuivi un double Master en commerce international, master qui m’a conduite au Mexique et où j’ai rencontré Andy, depuis un an mon mari. Problème : après près de deux ans, je n’ai pas rencontré de situation professionnelle satisfaisante au Mexique. J’ai beaucoup bataillé pour obtenir mon visa mais surtout mon permis de travail : j’en parle ici. Et malgré le fait que je possède un diplôme mexicain, mon expérience du secteur de la santé ne semble pas reconnue. Ayant fait un prêt conséquent pour faire mon Master en commerce international, autant dire que c’est très frustrant : tous mes investissements personnels semblent avoir été anéantis par mon expatriation et le fait que j’ai choisi de vivre au Mexique pour mon mari. Je ne cotise pas directement à la caisse de retraite (même si j’ai un fond personnel) et je n’accepte pas ma situation de dépendance. Je pense qu’il est à cet égard important d’avoir un compte commun dans le couple, où les deux conjoints (y compris celui qui ne perçoit pas d’argent ou perçoit une somme mineure) puissent avoir librement accès.
De plus, j’ai grandi avec l’idée que la femme se DOIT de travailler afin d’être indépendante. C’est une valeur qui m’a été inculquée par ma grand-mère et mes parents et si je suis d’accord avec ce principe, cela me fait culpabiliser encore plus. Sans activité rémunéré stable et régulière, je me sens illégitime. Pourtant, je n’aime pas que l’on juge les femmes qui font le choix de ne pas travailler pour se consacrer à leur famille par exemple. Ce n’est pas ce que j’envisage pour moi mais je considère que la décision de chaque femme est à respecter. J’ai récemment vu un Tweet « féministe » du magazine Elle qui m’a déplu car il prônait que les femmes se devaient de travailler. J’aurais spécifié « pour celles qui le souhaitent ». On ne peut stigmatiser les femmes qui ne travaillent pas.
Autre aspect : on a tendance à être défini par le poste que nous occupons. J’ai beaucoup aimé cette conférence TED du philosophe et écrivain Alain de Botton, qui explique que presque toujours, les autres nous réduisent à notre activité professionnelle alors qu’un être humain est tellement plus riche que cela. En fonction de notre réponse, on suscite l’intérêt ou non de notre interlocuteur. Quand je me suis installée au Mexique, tout le monde me demandait ce que je faisais et cela me mettait très mal à l’aise. Que dire ? Aujourd’hui, en fonction de mon humeur, je dis que je suis spécialiste du secteur de la santé (ce qui est vrai au vu de mes expériences et de mes études) ou j’avoue être blogueuse ou en train d’écrire un livre. Je peux lire dans le regard de certains la suspicion, le doute ou bien souvent le rire dissimulé. Comme si l’expérience expatriée et ses difficultés n’étaient déjà pas assez difficiles…C’est encore plus dur lorsqu’il s’agit d’amis de mon mari qui ne mesurent pas que oui c’est difficile pour moi au Mexique. Ils ont malheureusement tendance à penser que le fait d’être française et blanche me donne un passe-droit, une sorte de de libre accès, alors que ce n’est absolument pas vrai. Je ne dénie pas que mes origines européennes suscitent parfois de l’intérêt, mais cet intérêt est en général très superficiel et fort heureusement ce n’est pas ce qui va me donner un travail : ce serait du racisme complet envers les mexicains.
Par ailleurs, j’ai rencontré des français au Mexique très épanouis dans leur expatriation car disons-le, ils bénéficient de contrats d’expatriation parfois très avantageux, ou bien ont monté leur entreprise à moindre coût (projet qui n’aurait pas nécessairement été possible en France), qui leur donnent des conditions de vie fort avantageuses. Maison et voiture de fonction, congés, etc…Il faut savoir que la loi du travail au Mexique ne donne que six jours de congés par an, au bout de la première année…Je ne parviens donc pas à m’identifier à ces français qui font l’apologie du Mexique mais dont je sais que c’est principalement dû à leurs conditions de vie privilégiées. Je n’ai pas à me plaindre de ma situation, mais je suis très clairvoyante sur l’état du Mexique en général et si c’est un fabuleux pays à découvrir, c’est aussi la corruption, les inégalités sociales (je dirais même le gap social), la violence, la liberté d’expression mise à mal, etc…choses que l’on ne voit pas forcément lorsque l’on vit dans un quartier privilégié avec des gardiens assurant la sécurité.
En définitive, l’expatriation ce n’est pas toujours des contrats dorés et des maisons avec piscine. On peut s’expatrier en contrat local. On peut être en situation de couple bi-national comme c’est mon cas. Et on peut aussi devenir financièrement dépendant de son conjoint. Une femme a dit durant la conférence : « Si l’on n’est pas indépendant, on se retrouve à devoir faire la manche et demander de l’argent à son mari ». Les mots sont forts mais je ne la comprends que trop bien.
3 – Comment agir ?
Après avoir dressé ce bilan, comment agir ? C’était la question principale de ce congrès de l’expatriation au féminin. Comment faire pour s’épanouir dans cette nouvelle vie expatriée, comment faire pour être en accord avec soi-même et ses valeurs ?
J’ai particulièrement aimé le partage d’expérience de Catherine Martel, femme multiplement expatriée qui où qu’elle ait vécu, a su monter de nouveaux projets. Bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement d’activités lucratives, Catherine, psychologue de formation, a dans chacune de ses expatriations, procédé de la façon suivante :
Une phase d’exploration d’environ six mois : son but était alors de faire connaissance avec le pays, son rythme et ses coutumes.
L’identification d’un besoin auquel elle pourrait répondre.
La recherche de ce qui existait déjà localement ou ailleurs pour réponde à ce besoin.
La recherche de volontaires prêts à s’engager avec elle (« seul on ne fait rien »).
L’action pour soi et pour les autres.
Catherine a ainsi monté une crèche en Roumanie à Bucarest en 1994 lorsqu’elle s’est aperçue que ce type de structure manquait pour les français n’ayant pas encore atteints l’âge d’entrer à l’école française. Elle venait de mettre au monde son premier enfant et c’était un besoin qu’elle avait et que les autres parents de la communauté française et francophone partageaient. Grâce à sa rencontre avec une enseignante roumaine mariée à un français, son projet a vu le jour.
Par la suite, à Chypre, elle a créé avec d’autres françaises une unité de la FIAFE : la Fédération internationale d’accueil des français de l’étranger. Ces unités sont destinées à faciliter l’accueil des français, à leur fournir des informations administratives, culturelles et sociales sur leur nouveau pays d’adoption, mais aussi à créer de la convivialité au travers de différentes activités : randonnée, cuisine, etc.
Enfin, lors de son retour temporaire en France, elle a réalisé que ses enfants faisaient face à des difficultés d’adaptation, n’ayant jamais vécu en France. Elle s’est rendu compte que c’était le cas de bien d’autres enfants expatriés et donc une problématique commune aux parents expatriés. C’est ce qui l’a poussé à monter le projet collaboratif Expats Parents : un site de soutien aux parents expatriés.
La question permanente qui a guidé Catherine était : où puis-je apporter de la valeur ajoutée ? Or il se trouve que dans son cas, c’était principalement auprès de la communauté francophone et expatriée. A chacun de ses déménagements, elle a su se réinvestir dans de nouveaux projets et je dois admettre que je suis assez époustouflée.
Autre conférence, autre experte de l’expatriation : Véronique Plouvier. Véronique est devenue auteure en expatriation. Elle a publié plusieurs livres et ce notamment en autoédition, c’est-à-dire sans passer classiquement par un éditeur. Etant moi-même en train d’achever mon livre, ça m’a fait un bien fou de l’écouter.
Enfin, Cristina Felipe Araujo nous a parlé de son podcast Expat Heroes que je connais bien car je le suis depuis un certain temps. Le regard réaliste qu’elle porte sur l’expatriation et son positivisme sont contagieux.
Tous ces portraits démontrent qu’il ne faut pas baisser les bras même s’il y a des jours plus difficiles que d’autres et je sais de quoi je parle. Au-delà des coups de blues et des coups de déprime, il est nécessaire de se poser un instant et de prendre du recul, faire le point, définir ses besoins et ses objectifs pour pouvoir ensuite agir, et au fond ce n’est pas si grave si ça prend du temps. Le temps est une notion somme toute très relative en fonction du pays où l’on vit.
4 – Et si on dessinait un nouveau projet ?
Et que fait-on si ça ne va pas toujours pas ? Que fait-on si l’on a mis des choses en place et qu’au fond, on ne parvient pas à être pleinement en accord avec soi-même ? Et si l’on dessinait un nouveau projet ?
Parfois, malgré les moyens mis en œuvre et les efforts déployés, l’expatriation ne nous apporte finalement pas ce qu’on désire. Dans mon cas, cela fait deux ans que j’ai le sentiment de lutter et pourtant, je ne me sens toujours pas vraiment satisfaite, en phase avec moi-même. Je pense que c’est principalement dû à deux aspects : j’ai été très déçue professionnellement et je n’apprécie pas particulièrement la ville où je vis, à savoir Monterrey, située dans l’Etat de Nuevo León.
Pour autant le bilan n’est pas que négatif: je suis à certains égard fière de ma vie à l'étranger. J’ai développé le blog et c’est quelque chose que je fais avec passion. J’aime écrire, transmettre, partager ainsi que la photo (même si Andy a oublié ma caméra dans un train en Autriche), le voyage et les découvertes culturelles. A French in Mexico prend donc tout son sens et je remercie infiniment mes lecteurs. Par ailleurs, je suis en train d’achever mon livre et même si cela semble utopique, je suis bien déterminée à le soumettre à des éditeurs, et pourquoi pas, l’auto-éditer. De plus, même si je ne me destine pas à une carrière dans l’enseignement, donner des cours de français m’a permis de partager ma culture avec de jeunes gens curieux de la France. Enfin, je me suis mise à la course!
Mais au fond, je ne me vois pas faire ma vie à Monterrey parce-que ça ne me convient pas totalement. Après de nombreux échanges avec Andy, nous envisageons un déménagement d’ici un à deux ans et nous ne savons pas encore où. Il pourrait s’agir de la France ou d’ailleurs en fonction des opportunités qui vont se dessiner. Pendant qu’Andy se consacre au développement de son entreprise, j’ai décidé de continuer le développement du blog et de l’écriture. J’ai également décidé de préparer ma future expatriation ou mon retour en France en me concentrant sur le secteur de la santé qui est mon point fort. A ce stade, je ne préfère pas en dire trop mais ma stratégie est de multiplier les pistes afin de rester pleinement occupée et active. En outre, j’ai été contactée aujourd’hui par une mexicaine, professeure de français dans l’état de Sinaloa, qui a vu cet article du blog et qui souhaite que je fasse une visio-conférence auprès de ses élèves sur le thème de la femme en France et au Mexique. Comme quoi, il y a toujours un rayon de soleil où que l’on soit. Tout ce que j’entreprends n’est pas forcément rémunéré mais je ne baisse pas les bras parce-que c’est un nouveau projet pour le futur que je dessine.