Aujourd’hui, j’ai décidé d’aborder un sujet plutôt délicat : le racisme commun au sein du couple mixte. Thème délicat car on n’ose rarement (pour ne pas dire jamais) employer le mot « racisme » dans ce contexte et pourtant…Inévitablement, la rencontre de deux cultures éloignées l’une de l’autre génère une collision que l’on pourrait appeler en d’autres termes, un choc des cultures. Oui, il y a bel et bien parfois du racisme au sein du couple mixte et celui-ci est commun dans le sens où il n’est pas complètement frontal. Il s’agit d’un racisme plus ou moins dit, plus ou moins affiché, dont les deux individus qui forment le couple n’ont pas nécessairement conscience et qui revêt différentes formes : les petites critiques répétées sur les habitudes de l’autre, les incompréhensions, les jugements sur le pays de son partenaire, les blagues récurrentes sur les clichés associés à la culture de l’autre…C’est un racisme en demi-teinte, pas totalement dit, pas totalement avoué, pas totalement assumé. C’est un racisme insidieux dont on n’a très souvent pas conscience.
Consciente que cet article pourra peut-être susciter un peu de polémique, je tiens à préciser qu’il s’agit là de mon point de vue personnel, tiré de ma propre expérience, ainsi que de l’observation et de l’écoute d’autres couples mixtes de ma connaissance.
J’aborderai différents aspects tels que le lieu de résidence du couple, qui a des conséquences directes sur la manière dont on perçoit l’autre, la question identitaire, notamment pour celui au sein du couple qui a quitté son pays, la critique et ses limites ainsi que les stéréotypes. Enfin, je proposerai différentes pistes afin de trouver un équilibre même si je n’ai pas encore trouvé de recette toute faite !
1 – Le lieu de résidence : première question du couple mixte.
L’une des premières questions qui se pose pour un couple mixte est le lieu de vie. Où s’installer ? Dans quel pays ? Celui de l’un ou de l’autre ? Ou un autre ? Et pourquoi faire un tel choix ?
Lorsque la décision est prise, inévitablement la comparaison entre deux modes de vie surgit et la critique peut facilement s’immiscer avec…C’est en particulier vrai pour celui qui a suivi son conjoint et quitté son pays. Ce dernier doit faire des efforts pour s’adapter à un nouvel environnement, un style de vie différent, d'autres manières de vivre. S’il éprouve certaines difficultés, rencontre certains obstacles (ce qui est en général toujours et naturellement le cas), il amorce avec son conjoint des discussions, ce qui est bien-sûr normal, mais certains débats peuvent parfois emmener le couple sur un terrain sensible. Les débats peuvent aussi bien concerner les conditions de vie, que la situation sociale, le rythme, la santé, la politique ou encore l’éducation et l’autre peut vite se sentir attaqué. Par extension, critiquer un aspect du pays de son partenaire, c’est un peu le critiquer lui, ou du moins c’est ainsi que le ressent l’autre : « Tu critiques mon pays donc tu me critiques ».
Chaque partie du couple a une vision différente en fonction de la culture qu’elle porte en elle or l’adaptation pour celui qui a laissé son pays peut se révéler difficile. A titre d’exemple, la France et l’Allemagne ont plus d’avantages sociaux que le Mexique (en termes de congé maternité, indemnités de chômages et congés payés notamment). Je développe ce thème dans mon article Vit-on mieux au Mexique qu’en France ?
Il y a de ça quelques mois, Andy et moi avons voyagé à Real de Catorce avec un couple d’amis germano-mexicain et je me suis sentie soulagée car je me suis rendu compte qu’ils soulevaient les mêmes problématiques qu’Andy et moi avons. Elle est mexicaine et vit avec son mari allemand en Allemagne. Le Mexique lui manque mais elle admet que les disparités sociales au Mexique sont dramatiques et que si tu ne te situes pas en haut de l’échelle, la vie y est difficile. Quant à lui, il avait tendance à être vraiment critique vis-à-vis du Mexique, habitué au mode de vie allemand. Il m’a donné un effet miroir de moi-même qui suis parfois outrée par les conditions de vie locales comparées à celle de la France. Finalement, c’était assez sain de pouvoir parler tous les quatre de ces différents aspects car en couple, même si l’on n’a pas pour but de critiquer l’autre, il se peut que sans le vouloir on soit trop dans le jugement d’un système différent du notre et que l’on blesse l’autre.
2 – Le sentiment de « perte identitaire » pour celui qui est parti
Celui qui a suivi son conjoint, en plus de devoir s’adapter, peut naturellement expérimenter une sensation de division : division entre son pays d’origine et son pays d’adoption. Il n’est plus « là-bas » mais pas complètement « ici » non plus. Il est « coincé » entre les deux et peut avoir le sentiment de ne plus appartenir à aucun endroit (à cet égard, l’auteur canadienne Nancy Houston, expatriée en France, en parle très bien dans son livre Nord Perdu). Il est déraciné, en perte d’identité.
Cela peut notamment être dû aux efforts d’adaptation qu’il doit fournir. Parfois, à vouloir « trop » s’adapter, on s’égare et on a tendance à oublier qui l’on est et d’où l’on vient, quelles sont les valeurs qui nous sont chères. C’est un phénomène que j’ai moi-même vécu et qui peut être violent sans que le partenaire en aie conscience. Peut-être ne mesure-t-il pas les efforts car tout est naturel pour lui, il est chez lui. Peut-être vous « reprend-il » car il ne veut pas que vous commettiez d’impair culturel en société. L’intention est bonne mais aussi pesante à la longue.
Je me souviens que durant mes débuts au Mexique, j’essayais de m’appliquer au mieux, de me fondre dans le moule et même de « gommer » mes origines françaises : comme si c’était possible ! Finalement, j’ai pris conscience avec le temps que cette tactique ne m’était pas bénéfique. M’adapter oui, mais pas effacer qui je suis vraiment. En cela, je dirais que l’expatriation est comme un « révélateur » d’identité. Finalement, en vivant à l’étranger et en se confrontant à une nouvelle culture, on en apprend plus sur soi-même. J’en parle dans l’article Vivre à l’étranger pour prendre conscience de sa propre identité.
Bien souvent, l’expatriation implique des sacrifices mais il est impossible de « sacrifier » son identité et qui l’on est. J’en parlais notamment avec cette amie mexicaine qui vit en Allemagne et où elle a parfois le sentiment que tout est trop propre, trop strict, trop cadré, elle qui est habituée au fameux adage mexicain « no pasa nada » et où la flexibilité est plus grande.
Il est important de respecter les coutumes de notre pays d’adoption mais ça ne signifie pas mettre au placard les nôtres.
3 – De la critique au racisme
Les échanges sur les différences culturelles sont inévitables au sein d’un couple mixte, mais quand passe-t-on de la critique légère (ou tout du moins de la remarque) au racisme ? Où se situe la limite et à quel moment la franchissons-nous ?
Prenons une situation concrète : j’ai eu une journée pesante, il a fait 36°C à l’ombre du matin au soir et je suis outrée de voir tous ces pauvres gens à l’arrêt de bus, sous une chaleur écrasante, attendant un hypothétique bus pour rentrer chez eux. Je fais la remarque à Andy que c’est impensable que l’Etat ne s’engage pas à améliorer les transports en commun, que c’est une honte, qu’on en revient toujours aux riches qui s’en mettent plein les poches au détriment des autres, que la corruption règne en maîtresse souveraine et que je suis encore plus outrée que le peuple ne réagisse pas. Oui, le peuple a peur, les actions sont trop individuelles, trop isolées, les journalistes se font tuer, bref on n’avance pas alors qu’il faudrait une bonne révolution ! Andy me répond que nous les français on se plaint trop, on n’est jamais content, on critique tout, ce à quoi je rétorque que nous avons peut-être inventé la guillotine mais qu’enfin nous, nous avons évolué. Et là…c’est la goutte qui fait déborder le vase...« Nous, nous avons évolué ». Qu’ai-je dit, qu’ai-je sous-entendu ? Que les mexicains sont incapables d’évoluer ? Je me rends compte trop tard que mon propos est blessant et que je suis allée trop loin.
Des exemples de ce type, j’en ai un certain nombre, des choses qu’Andy a également pu dire sur la France. Le fait est que quand on vient de deux cultures radicalement éloignées l’une de l’autre, parfois on ne se comprend pas forcément. Ce qui est évident pour nous ne l’est pas du tout pour l’autre et c’est quelque chose que l’on tend à oublier. On réfléchit selon notre propre système de références sans se rendre compte que notre partenaire ne peut envisager les choses de la même manière. Et oui, parfois, la limite entre la remarque et le propos raciste est très mince…
4 – Les clichés ont la dent dure
Les clichés, ou stéréotypes, prêtent généralement à rire. En vrac, en voici quelques exemples : les américains sont parés d’un optimisme à toute épreuve, les allemands sont rigoureux et rigides, les norvégiens sont froids, les italiens sont romantiques et sensuels, les espagnols aiment faire la sieste et la fête, etc…Parmi les clichés sur les français voici ce qui m’a très souvent été renvoyé au Mexique : les françaises ne s’épilent pas (elles sont poilues c’est bien connu !), les français ne se lavent pas, ils râlent et ne sont jamais contents, se plaignent de tout (au contraire il est inconvenant et mal poli de se plaindre au Mexique) et puis ils sont fainéants (et oui, ils ont quand même cinq semaines de congés payés !) De prime abord, ça peut surprendre mais c’est en général drôle. A la longue…c’est pesant. Or au Mexique, on aime bien se moquer, pas méchamment bien-sûr, mais on aime bien titiller et c’est parfois « lourd » et fatiguant.
Au sein même du couple, même si la volonté de votre partenaire est de vous faire rire, l’excès de clichés peut parvenir à « polluer » la relation. Comme le dit le proverbe, les blagues les plus courtes sont toujours les meilleures. C’est dans ce contexte qu’il me semble important de rappeler que si deux cultures sont présentes au sein du couple mixte, il s’agit avant tout de deux individus. Un couple ce n’est pas deux cultures ou deux pays mais d’abord deux personnes avec une identité qui leur est propre et que l’on ne saurait réduire à des stéréotypes.
5 – Trouver l’équilibre…
J’aimerais pouvoir dire que je possède désormais le Guide de l’équilibre parfait à l’usage des couples mixtes mais ce n’est malheureusement (ou heureusement) pas le cas. Chaque couple mixte est unique et les variables sont infinies en fonction du pays d’origine de chacun. Il n’y a donc pas de solution « clé en main » universelle et il appartient à chaque couple de trouver un équilibre qui lui est propre. Néanmoins, je vous propose quelques pistes…
* Pourquoi pas ne pas habiter en terrain neutre ?
Et si vous décidiez de vivre dans le pays ni de l’un ni de l’autre mais ailleurs ? Gabrielle, du blog L’Allée du Monde, a à cet égard publié un article intéressant où elle donne la parole à dix couples bi-nationaux (dont je fais partie) et où il semble que résider dans un pays « neutre » soit bénéfique pour le couple. Et pour cause ! Ce n’est plus à l’un ou l’autre de faire des efforts d’adaptation mais aux deux ! En outre, il n’y a plus non plus cette notion de déséquilibre, de sacrifice fait par l’un « au profit » de l’autre : les deux sont dans le même bateau !
* Essayer de mettre ses filtres internes en veilleuse
En pratique ça semble difficile, voire même impossible car l’on ne peut ignorer ce qui fait partie intégrante de nous, mais je considère néanmoins faisable, dans certains moments, de fournir quelques efforts. Cela peut se faire progressivement, un soir par exemple au moment du dîner : écouter son partenaire en se forçant à la neutralité, en adoptant une attitude d’ouverture, être disposé à entendre l’autre sans vouloir immédiatement l’interpréter à l’aune de nos propres schémas.
* Respecter l’autre dans sa différence
Au-delà du fait que l’on puisse se sentir parfois dérouté ou en désaccord, le respect de l’autre est un principe fondamental. Si l’on se sent dans l’incompréhension totale, pourquoi ne pas simplement questionner son partenaire ? Il est important de ne pas céder (ce qui est généralement plus facile) à la critique, l’attaque, le jugement. Et si des mots malheureux nous échappent, alors il est nécessaire de présenter des excuses. Cela semble évident et pourtant…
* Rester soi-même
Malgré nos efforts d’adaptation, il est essentiel de rester fidèle à soi-même et de ne pas avoir honte de sa propre identité. Notre différence fait notre richesse – différence de couleur de peau, de langue, de style vestimentaire, de rythme, d’habitudes culinaires – et le monde serait terriblement ennuyeux si nous étions tous identiques.
* Avancer ensemble
Antoine de Saint-Exupéry a dit : « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction ». Et c’est bien vrai ! S’aimer c’est construire un avenir à deux et donc avoir un ou plusieurs projets communs. Cela ne signifie pas tout faire ensemble, il est important que chacun ait ses propres objectifs afin de s’épanouir, mais il est primordial d’avancer sur une route commune et non deux chemins différents. Par exemple, il arrive bien souvent au sein du couple mixte que l’un des partenaires ait fait des sacrifices (tout quitter pour rejoindre l’autre) : il est important que l’autre en soit conscient et possède la capacité de rendre la pareille.
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