Je travaille actuellement, parmi tant d’autres choses, sur un Ebook dont le thème est la culture mexicaine. J’aimerais proposer un regard différent sur celle-ci, plus authentique, loin des lieux communs auxquels nous sommes habitués. La difficulté est que je fais tant de choses qu’il est encore à l’état de brouillon et qu’en attendant, mes posts n’avancent pas. J’ai donc décidé de partager directement sur le blog des articles sur différents aspects du Mexique, qu’ils s’agissent de thèmes généraux tels que la politique ou la religion, ou de sujets plus pratiques comme les mariachis ou la télénovela. J’aborde ici les inégalités sociales au Mexique et la manière dont elles s’expriment au travers de la santé et de l’éducation.
Les inégalités sociales
Le Mexique est un pays profondément marqué par les inégalités sociales. En France aussi me direz-vous. Oui et non. Tout dépend de la manière dont on évalue ces inégalités, quels critères on retient. Si en effet, l’égalité sociale parfaite n’existe sûrement nulle part, certains pays s’en sortent mieux que d’autres et le Mexique n’en fait malheureusement pas partie. La classe moyenne y est tout juste émergente et on observe un véritable fossé entre la classe populaire et la classe supérieure. Si la population qui constitue cette dernière est minoritaire au regard de la classe populaire, elle est néanmoins puissante et largement décisionnaire. Le pouvoir, qu’il soit politique ou économique, est entre les mains de cette classe.
On peut invoquer différentes raisons à cet état de fait, notamment le manque de moyens investis dans l’éducation publique ainsi que la corruption. Bien que cela semble schématique, on observe tout simplement que parce-que le peuple ne bénéficie pas d’une éducation de qualité, il n’a pas les moyens de faire preuve de jugement critique et de se soulever contre l’ordre établi. Il est malléable, crédule, fragile.
Mais comment cette distance entre classes s’observe-t-elle concrètement ? L’aspect le plus révélateur est la géographie urbaine : les villes sont divisées entre quartiers riches et quartiers pauvres, les quartiers résidentiels luxueux qui bénéficient d’une sécurité privée (dits fraccionamientos) s’opposent aux favelas. Par ailleurs, les classes ne se mélangent pas : seules les personnes issues des classes populaires prennent les transports en commun (bus, métro) peu développés (à l’exception de Mexico, la capitale, qui bénéficie d’un réseau de transports plus riche) tandis que les classes supérieures ne se déplacent qu’en voiture. Ces dernières emploient du personnel de maison, parfois à plein temps, et se rencontrent dans des cercles fermés, privilégiés, tels que les clubs campestres.
Mais au fait, concrètement, une favela c’est quoi ?
Le mot d’origine brésilienne favela désigne un bidonville. Il en va de même au Mexique où les favelas sont en général implantées sur des terrains illégaux et insalubres, caractérisés par un manque d’infrastructure en termes d’eau, d’électricité et de collecte des déchets principalement. Les habitations sont faites de matériaux de récupération et la plupart du temps insalubres. Emblématiques de la pauvreté urbaine elles sont généralement contrôlées par des trafiquants de drogue.
L’agence de communication Publicis a publié en 2014 une campagne intitulée « Erase the Difference » shootée par le photographe Oscar Ruiz. Les clichés aériens de Santa Fe, à la périphérie de Mexico, où s’alignent favelas et quartiers riches mettent en évidence le contraste social dont souffre le Mexique.
L’éducation: public vs privée.
L’éducation au Mexique est empreinte des inégalités sociales qui caractérisent le pays. Il existe d’une part l’éducation publique dont les écoles souffrent d’un manque de moyens et d’autre part l’éducation privée dispensée par différentes institutions concurrentes.
Dans les écoles publiques, les enseignants sont très peu rémunérés : 9 525 pesos en moyenne en école primaire et 12 796 pesos en moyenne en collège, ce qui équivaut respectivement à 434 et 584 euros mensuels. Ils disposent de peu de moyens matériels pour dispenser leurs cours et les manuels utilisés sont ceux mis à disposition par le gouvernement, ce qui se révèle être un moyen supplémentaire de contrôle pour l’Etat mexicain. Tout ceci n’a pas grand-chose avoir avec l’école publique dont nous bénéficions en France.
Les institutions privées, garantes d’une meilleure qualité d’enseignement, sont principalement réservées aux classes supérieures et leur prix est très variable : certaines sont plus réputées et plus luxueuses que d’autres et dispensent notamment des cours intégralement en langue anglaise. Elles s’apparentent beaucoup aux écoles américaines dont elles puisent leur inspiration. On y trouve donc différents clubs de sport, le fameux « yearbook » avec les photos de l’année et le détail de chaque classe, un bal de fin d’année (la fameuse « prom ») ainsi que différentes animations destinées à renforcer la cohésion autour des valeurs de l’école tout au long de l’année.
En termes pédagogique, là encore on retrouve un certain nombre de caractéristiques américaines : peu de rédaction au profit de questionnaires à choix multiple, peu de débats ou d’échanges avec l’enseignant qui permettent de développer l’esprit critique, idée générale que c’est le professeur qui détient le savoir, apprentissage du manuel en vue des contrôles de connaissances essentiellement. Oubliez les analyses de textes, problématisations et dissertations.
En ce qui concerne le rythme, bien que ce soit variable, les enfants entrent à l’école vers 7h30 et terminent leur journée vers 14h. Ils mangent une collation vers 11h préparée par les parents (un sandwich généralement) et déjeunent après la classe car il n’y a pas de cantine dans les écoles. Pour les familles dont les deux parents travaillent, les enfants sont pris en charge par les grands-parents ou une personne employée par les parents.
Enfin, il existe un Dia del Maestro (fête des enseignants) à l’instar de la fête des mères par exemple, qui a lieu le 15 mai et qui est l’occasion de célébrer les professeurs et éducateurs du pays. L’initiative fut lancée par le président Venustiano Carranza en 1917 : la date est celle de Saint Jean-Baptiste de La Salle qui fut nommé « patron universel de tous les éducateurs » par le pape Pie XII le 15 mai 1950 en hommage à sa vie qu’il consacra à la pédagogie et l’éducation des enfants pauvres[1]. Curieuse initiative dans un pays où les enseignants sont parfois bien peu estimés…
La santé : une médecine à deux vitesses.
De la même manière qu’on observe un fossé entre éducation publique et privée, il existe de fortes disparités en termes d’accès aux soins. L’inflation médicale, c’est-à-dire l’augmentation annuelle des procédures de soin, indépendante de l’inflation traditionnelle, est responsable d’une hausse constante du prix des assurances de santé privée. Voici un tour d’horizon pour y voir plus clair.
* Les soins en structures publiques
Il existe un système de sécurité sociale au Mexique appelé IMSS[2] qui permet de bénéficier de soins en hôpital public. Ses limites ? Des hôpitaux saturés où on entasse les patients à cinq par chambre, voire parterre dans les couloirs, un manque de personnel et de matériel, des temps d’attente interminables pour les patients (il faut parfois attendre des mois pour une chirurgie), une absence de continuité dans la prise en charge des malades. Le système public souffre de la corruption et c’est la population qui en pâtit. L’alternative possible est celle de la médecine privée mais son accès est conditionné par les coûts qu’elle engendre.
* Les soins en institutions privées
Seules les personnes disposant d’un niveau de vie suffisant peuvent se permettre de se faire soigner en hôpital privé. À l’inverse de l’hôpital public, il n’y a pas de temps d’attente (ou presque pas), le personnel est en plus grand nombre et la qualité des soins supérieure. Les structures rivalisent de créativité pour attirer les patients/clients et certaines à s’y méprendre ressembleraient presque à des hôtels de luxe. Halls qui brillent, personnel soignant aux petits oignons et…une note au goût très salé. Deux possibilités s’offrent au patient pour payer : ou régler directement de sa poche ou bien régler par l’intermédiaire d’une assurance de santé privée s’il en a une.
* Les assurances de santé
Le marché des assurances santé n’a jamais été aussi florissant au Mexique. De grands groupes concurrents (New York Life, MetLife, GNP, Axa entre autres) rivalisent d’ingéniosité dans les offres qu’ils proposent à leurs clients. Il est difficile pour l’acheteur potentiel de s’y retrouver car chaque assurance à des spécificités bien particulières. Le taux de remboursement n’est par exemple pas le même en fonction de la structure de soin, du type d’intervention, de l’éventuelle préexistence médicale de l’affection chez le patient : beaucoup de critères entrent en compte. De plus, une assurance ne couvre pas nécessairement « tous » les soins et il existe toujours un montant de franchise, lui aussi variable. Aujourd’hui, seul 8% de la population mexicaine possède une couverture médicale pour gastos médicos mayores[3], c’est-à-dire pour les dépenses de soins majeurs qui nécessitent une prise en charge hospitalière (urgence, chirurgie, maladie chronique). Son coût exorbitant au regard du niveau de vie global reste inatteignable pour bon nombre de Mexicains (à savoir que celle-ci peut éventuellement être offerte par certains employeurs).
* À savoir
La consultation médicale de ville n’est pas remboursée par la sécurité sociale mais il est possible de consulter un spécialiste dans un hôpital public et ne pas avoir de frais si l’on est affilié à l’IMSS. Il est également possible de voir un médecin en pharmacie à titre gratuit. La qualité de l’attention médicale est alors variable et les médecins ont tendance à vous vendre des médicaments. Rappelons-le, ils sont employés par la pharmacie. Par ailleurs, les personnes en pharmacie ne sont pas des docteurs en pharmacologie mais des vendeurs, sans aucune qualification. Inutile donc de leur demander des conseils…
La santé publique : diabète, obésité et consorts.
Le Mexique souffre d’importants problèmes de santé publique, l’obésité et le diabète arrivant en tête. Parmi les pays membres de l’OCDE[4], le Mexique est le second pays avec le plus fort taux d’obésité après les Etats-Unis. Ainsi, 32,4% de la population mexicaine âgée de plus de 15 ans souffrirait d’obésité[5] contre 38,2% pour les Etats-Unis[6].
Le diabète est la seconde cause de mortalité au Mexique après les maladies cardiaques et avant les tumeurs malignes. Les données de l’INEGI[7] mettent en avant 14 626 décès dus au diabète en 1980 contre 105 574 en 2016, ce qui correspond à une hausse de 622%[8]. 90% des cas de diabète sont par ailleurs liés à des situations de surpoids et d’obésité or 72,5% de mexicains souffrent de l’une de ces deux affections.
Bien que le pays dispose d’un extraordinaire patrimoine gastronomique, il est le premier d’Amérique Latine à consommer des produits transformés (214 kg / an / personne[9]). En outre, les Mexicains sont parmi les plus grands consommateurs de sodas et boissons sucrées, le coca-cola arrivant en tête, avec une moyenne de 119 litres par personne et par an selon l’agence Euromonitor International[10].
Plusieurs causes sont invoquées dont notamment le pouvoir des industries alimentaires et de leurs alliances avec le gouvernement mexicain. Certains grands groupes sont proches de la FUNSALUD[11] qui influence le gouvernement fédéral et notamment le Ministère de la Santé. Autre exemple : l’industrie des boissons exerce une forte influence indirecte sur un large groupe de chroniqueurs financiers au travers d’agences de relations publiques et de diverses associations. Les politiques de santé publique préventives sont mises à mal par des intérêts commerciaux et économiques et le gouvernement mexicain fait face à un nouveau défi : celui de développer de nouvelles régulations quant aux industries alimentaires au lieu de collaborer avec elles et d’être aux prises de conflits d’intérêts.
Je pourrais encore écrire des pages et des pages sur ces thèmes aussi délicats que préoccupants. Il ne s’agirait alors plus d’articles de blog mais d’articles de recherches et ce n’est pas le but ici. Les inégalités sociales au Mexique sont vastes, complexes, et requièrent l’analyse d’un grand nombre d’aspects pour vraiment bien saisir quelles sont leurs origines et comment elles continuent d’exister au XXIe siècle. Je conclurais simplement en soulignant qu’en définitive, il ne s’agit que d’une question de pouvoir et d’ego. C’est l’intérêt individuel qui prime sur l’intérêt général. Nous sommes bien loin du concept de souveraineté du peuple décrit par Rousseau dans son Contrat Social et le chemin est encore long dans un pays qui possède tant de richesses et dont la complexité culturelle est fascinante.
Références
[1] La fête de Saint Jean-Baptiste a été ramenée par le calendrier romain général à l'anniversaire de sa mort, le 7 avril, au lieu du 15 mai.
[2] IMSS: Instituto Mexicano del Seguro Social.
[3] https://www.forbes.com.mx/solo-1-de-cada-10-mexicanos-tiene-seguro-de-gastos-medicos/
[4] OCDE : Organisation pour la coopération et le développement économique.
[5] http://www.oecd.org/health/health-systems/Obesity-Update-2017.pdf
[6] À titre indicatif, la France possède un taux d’obésité chez les plus de 15 ans de 15,3% selon la même étude de l’OCDE.
[7] Instituto Nacional de Estadística y Geografía au Mexique
[8] http://fmdiabetes.org/estadisticas-en-mexico/
[9] Organización Panamericana de la Salud. Alimentos y bebidas ultra-procesados en América Latina: tendencias, efecto sobre la obesidad e implicaciones para las políticas públicas. 2015. Disponible en: http://www.iris. paho.org/xmlui/bitstream/ handle/123456789/7698/9 789275318645_esp.pdf. Fecha de actualización: 14/08/17.
[10] Vartanian L, Schwartz M. Effects of soft drink consumption on nutrition and health: A systematic review and meta-analysis. Am J Public Health 2007; 97(4):667-675.
[11] Fundacion para la salud mexicana