Si vous êtes un habitué du blog, vous savez sûrement que je suis quelqu’un multi-facettes avec un parcours académique et professionnel atypique, même si je n’aime pas trop ce terme.
Si je synthétise (vous pouvez sauter ce paragraphe si vous souhaitez directement en venir au fait), issue de la filière littéraire j’étais plus ou moins prédestinée à poursuivre cette voie et c’est ainsi que j’ai intégré une prépa L après le baccalauréat. Contre toute attente, je la quittais deux mois plus tard, tentait l’art pour finalement entrer en école d’infirmière. Curieux ? Oui et non. J’ai toujours aimé la biologie et je sentais que je pourrais vraiment être utile à l’hôpital. Déçue par le milieu hospitalier j’ai finalement trouvé un poste de directrice adjointe de crèche en région parisienne. Je m’y suis épanouie, pendant un temps. Puis un matin je me suis réveillée avec ce sentiment d’avoir besoin de plus. J’avais envie de voyager, d’apprendre d’autres langues, d’avoir plus de responsabilités, d’évoluer. C’est ainsi que j’ai repris mes études, des études de commerce qui me m’ont mené au Mexique dans le cadre d’un échange. J’ai aujourd’hui lancé ma boîte sans savoir que le monde ferait face à une pandémie trois mois plus tard et je mène ma barque dans cette tempête du mieux que je peux (voir le post Lancer sa boîte à l'aube d'une pandémie). J’ai commencé en parallèle l’an dernier la Licence Humanités à distance avec l’université de Nanterre (il semblerait que la littérature me rattrape) mais c’est très difficile au vu du contexte actuel. Et, au milieu de tout ça, j’ai traduit un livre. L’expatriation est définitivement source d’inattendu.
Pour des raisons de discrétion professionnelle je ne peux spécifier qui était à l’origine de cette commande, mais en définitive, je peux dire qu’au Mexique les opportunités sont en grande majorité le fruit du réseau. Développer et prendre soin de ses relations est la clé (voir l'article Les relations sociales au Mexique), que ce soit lorsque l’on cherche du travail ou tout simplement pour s’intégrer. C’est ainsi que quelqu’un s’est souvenu que je parlais trois langues, que j’avais effectué une courte mission d’interprète et que j’étais passionnée de littérature, et m’a ainsi recommandé auprès d’une personne en recherche d’un traducteur.
Cette personne m’a demandé mon CV, j’ai passé un entretien téléphonique puis un test de traduction afin d’évaluer mon niveau. À la suite de ces différentes étapes s’est ensuivie une négociation à propos de mes tarifs et pour finir, la signature du contrat. Nous étions alors en janvier de cette année et j’avais trois mois pour traduire, du français à l’anglais, une biographie historique à propos de Charlotte de Belgique et destinée à servir de support pour une adaptation au cinéma. Pour une meilleure compréhension de cette aventure, il m’a semblé plus simple de poursuivre cet article sous forme de question/réponse.
Pourquoi effectuer une traduction à propos de Charlotte de Belgique ?
La personne commanditaire de la traduction est réalisatrice et a pour projet de faire un film sur Charlotte de Belgique avec pour objectif de montrer une face méconnue de Charlotte. C’est à cet égard qu’elle a sollicité la traduction d’un livre écrit en français et qui n’avait jusqu’alors jamais été traduit. L’ouvrage représentait d’autant plus d’intérêt qu’il a été écrit par une comtesse, contemporaine de Charlotte et qui fut en contact direct avec elle. C’est une chose d’avoir accès à des biographies historiques en général, c’en est une autre lorsque les auteurs ont véritablement vécu à l’époque qu’ils relatent.
Mais qui était Charlotte de Belgique ?
Charlotte de Belgique (1840-1927) était la fille de Léopold Ier, roi des Belges, et de la reine Louise d’Orléans (fille du roi de France Louis-Philippe d’Orléans). Elle épousa en 1857 l’Archiduc Maximilien d’Autriche qui n’était autre que le frère de François-Joseph, alors Empereur d’Autriche et époux de l’impératrice Elizabeth d’Autriche, Princesse de Bavière, connue de tous sous le nom de Sissi.
À gauche: Charlotte auprès de ses frères, Léopold (futur Léopold II, roi de Belgique) et Philippe, Comte de Flandres.
Ayant perdu sa mère prématurément, la jeune Charlotte grandit entourée de dames de compagnie et de précepteurs dont son père, le roi Léopold, s’assure qu’ils soient suffisamment exigeants. C’est ainsi que Charlotte, parvenue à l’âge adulte, maîtrise plusieurs langues et est parfaitement au fait des défis politiques qui agitent alors les royaumes d’Europe. Suite à son mariage avec Maximilien, elle emménage en Italie où ce dernier est vice-roi de Lombardie-Vénétie. En 1864, tous deux sont envoyés par Napoléon III, alors Empereur de France, au Mexique en tant qu’Empereur et Impératrice du royaume mexicain. Ils n’ont aucune idée des défis qui les attendent et imaginent, à tort, qu’ils y sont attendus. Or le Mexique est en proie à de violentes dissentions et Benito Juarez prépare la révolution. Plus que de seconder son mari, souvent absent et peu enclin à remplir ses responsabilités politiques, Charlotte se passionne pour le pays et gouverne.
Charlotte aurpès de Maximilien et Charlotte, Impératrice du Mexique
Mais lorsque Napoléon III fait marche arrière et ordonne le retrait des troupes françaises qui soutenaient le pouvoir impérial de Maximilien, la situation devient dangereuse. Désespérée, Charlotte entreprend un voyage en Europe afin de supplier Napoléon III ainsi que le Pape Pie IX de leur venir en aide mais se heurte à un mur. Il semble que sa santé mentale commence à se dégrader alors qu’elle est en séjour à Rome et des médecins décident de la confiner dans sa propriété de Miramar, moment où Maximilien, capturé lors d’une bataille à Querétaro, est exécuté par les juaristes. Elle est finalement ramenée en Belgique par sa belle-sœur, l’Impératrice de Belgique Marie-Henriette, épouse de Léopold II et cousine de Maximilien. Elle y demeure soixante ans dans un état psychique instable jusqu’à sa mort en 1927.
Quel fut mon rythme de traduction ?
J’avais indiqué au commanditaire que j’aurais besoin de 4 à 5 mois pour effectuer la traduction des 400 pages alors qu’il souhaitait le résultat final sous 3 mois. En définitive, malgré mes efforts, je n’ai pu rendre la traduction finale qu’au bout de 4 mois. J’ai travaillé de janvier à avril inclus, en parallèle de mon activité professionnelle, et je transmettais les chapitres au fur et à mesure de leur traduction, de manière à ce que le commanditaire puisse se rendre compte de la progression.
Je me suis vite aperçue qu’il me fallait tenir un rythme régulier et soutenu afin de ne pas perdre le fil. Ne pas traduire pendant plus de trois jours consécutifs par exemple se révélait être un obstacle chaque fois que je m’y remettais. Il fallait se replonger dans le livre et ce n’était pas forcément évident. Au contraire, traduire tous les jours permettait de générer des automatismes, le travail devenait plus fluide.
Ai-je bénéficié d’une relecture ?
Oui. N’ayant pas de formation de traducteur à proprement parler il m’a semblé important dès le début de soumettre mes avancées à quelqu’un de plus expérimenté dans mon cercle proche. J’ai ainsi pu bénéficier de commentaires sur les corrections à apporter. Sans le soutien de cette personne, je doute que j’aurais accepté le contrat.
Quelles ont été mes impressions sur l’exercice de la traduction ?
C’est un exercice difficile et en définitive, c’est un véritable métier. Ce n’est pas pour rien s’il existe des formations de traducteur. Dans le même temps, ça m’a redonné une certaine confiance en mes capacités et m’a permis de me rendre compte que j’en étais capable malgré mes doutes.
En ce qui concerne le livre en particulier j’ai noté plusieurs défis spécifiques. Je pense par exemple à l’usage d’un français suranné : le livre a été écrit en 1925 par une comtesse belge.
Par ailleurs qui dit noblesse ne dit pas forcément « bonne » écriture : l’absence de concordance de temps avec des passages abrupts entre passé et présent (voir futur, temps inadapté pour l’historien) n’était vraiment pas facile à traduire. La mission du traducteur n’est pas de « corriger », il se doit de rester au plus près du texte original. Néanmoins, sa traduction doit aussi faire sens pour le lecteur et il se doit alors de trouver un juste milieu.
Enfin, il s’agissait d’un travail d’historienne plus que discutable. Un historien prend généralement de la distance par rapports aux faits qu’ils relatent. Il puise dans différentes sources qu’elles soient directes (document d’époque par exemple) ou indirectes (travaux d’autres historiens) et entreprend un travail d’analyse. Or la biographie que j’avais à traduire était parcourue en long et en large de jugements personnels, d’appréciations, de conclusions hâtives dont je me demandais d’où elles venaient. Certes, l’auteur avait côtoyé Charlotte de Belgique, ce qui est intéressant car cela peut apporter un autre point de vue que celui d’historiens ne l’ayant pas connu et ayant écrit à postériori sur elle. Néanmoins, dans ce cas précis, ça ôtait la dimension véritablement professionnelle du travail d’historien.
Le mot de la fin
Je pensais définitivement en apprendre plus sur la Charlotte intime, ce qui était le but de cet ouvrage, or ça n’a pas été le cas. Je pense que le commanditaire a dû en être surpris également, ayant pour objectif de montrer sur grand écran un portrait plus authentique de Charlotte. L’auteur semble annoncer beaucoup d’explications qui finalement ne viennent pas et j’ai eu le sentiment de rester sur ma faim, sans comprendre qui était véritablement Charlotte et comment sa santé mentale semble s’être brutalement dégradée.
Par ailleurs, il était prévu que j’aurais des échanges réguliers avec le commanditaire afin de partager mon analyse (car l’on m’avait spécifié que si j’avais été choisie c’était aussi pour ma sensibilité littéraires) or ça n’a malheureusement pas été le cas. J’envoyais simplement les chapitres au fur et à mesure par mail à son bras droit.
Quoiqu’il en soit j’ai rempli ma mission et ce travail de traduction s’est révélé être une expérience inattendue. J’ai été touchée par l’histoire de Charlotte, par sa force, son audace, et surtout par le récit de sa première fois sur le sol mexicain (dans un autre registre vous pouvez lire l'histoire de ma première fois sur le sol mexicain). J’ai été tellement absorbée par l’histoire que j’ai comme ressenti une forme de vide lorsque j’ai achevé la traduction.
Le livre m’a aussi donné à voir sous un angle différent les problématiques qui agitent encore le Mexique à l’heure actuelle. C’est en définitive un projet qui aura marqué le début de l’année 2020 pour moi et dont je suis satisfaite. Comme quoi, l’expatriation nous mène parfois sur des chemins inattendus.
Je suis curieuse de vos aventures inattendues en expatriation. N’hésitez pas à les partager en commentaire ci-dessous !