Pour ceux qui me suivent sur les réseaux, vous savez sûrement que j’ai voyagé en France en août dernier. Mon feed est plein de photos de ce qui a été un « grand » voyage pour moi après deux ans et demi loin de…« chez moi » ? Non, je ne peux pas dire que la France soit encore mon « chez moi », pas plus que le Mexique d’ailleurs, où j’ai certes déposé mes valises mais qui malgré tout me reste parfois étranger. Disons plutôt, deux ans et demi loin du pays qui m’a vu naître, loin de de mes proches, loin de certains repères, habitudes, goûts, odeurs, sensations…
Mon dernier « retour en France » remontait en effet au mois d’avril 2019 (lire Voyage de printemps en Europe).
Saint-Nazaire - Pays de la Loire
Or en deux ans et demi, la vie évolue. J’ai lancé ma boîte (Lancer sa boîte au Mexique à l’aube d’une pandémie) ; la pandémie a bouleversé la planète et 2020 s’est révélé particulier pour la grande majorité d’entre nous (2020 : blog, vie pro et expatriation au Mexique) ; j’ai déménagé (De Monterrey à Mexico : une nouvelle page de mon expatriation) ; à l’instar de nombreux Mexicains, je suis partie me faire vacciner en Californie (La vaccination contre le COVID-19 : luxe ou liberté ?) De la même manière que j’ai vécu certains changements, il en a été de même de l’autre côté de l’Atlantique pour mes proches. Nous sommes tous allés la vie, chacun de notre côté, sans jamais véritablement se rencontrer. Bien-sûr il y a Zoom, Skype, Whatsapp, Face Time…autant de moyens pour se « capter » par écran interposé mais qui aussi fabuleux soient-ils ne remplaceront jamais la chaleur d’un café à la maison avec sa sœur ou d’un verre de vin en terrasse avec des amis. La pandémie nous a l’espace d’un instant fait croire que nous pouvions tout faire à distance, que nous n’avions plus besoin de nous déplacer et que tout pouvait être exécuté depuis le confort de notre foyer. C’est un mensonge. Aucune avancée technologique ne pourra se substituer à l’authenticité d’un contact humain.
Pornic - Pays de la Loire
Deux ans et demi où on rate les anniversaires, noël, les mariages (il y a en a eu malgré la pandémie), des naissances peut-être et des moments plus banals du quotidien comme un week-end à la campagne. Tout cela n’est somme toute que très normal car c’est ce qui arrive inévitablement lorsque l’on décide de s’expatrier et plus encore de migrer. Littéralement un expatrié est quelqu’un « hors de sa patrie ». Mais en règle générale, les expatriés sont ceux qui ont tendance à ne pas rester, ce sont ceux qui rentrent en France ou volent vers d’autres horizons après trois ou quatre ans. Les immigrés – comme moi – restent. Ils acquièrent une compréhension plus profonde du pays qu’ils ont adopté car seul le temps permet de saisir certains aspects d’une culture qui n’est pas la nôtre. J’écrivais ainsi dans mon dernier article sur le Jour des Morts : « Aujourd’hui, mon regard sur cette tradition a évolué, il s’est affiné. Ce sont mes années de vie au Mexique, et notamment mon déménagement à Mexico en février dernier, qui m’ont permis de percevoir des nuances que je n’étais alors pas capable de déceler il y a trois ans. »
Rien donc de très surprenant à « rater » certains événements familiaux lorsque l’on vit dans un pays autre que celui où nous avons grandi : ça fait partie du « package » et on le sait. Pourtant, en avoir conscience ne rend pas nécessairement les choses plus faciles. Ça ne fait disparaître le manque ou la nostalgie, ça n’efface pas les souvenirs, ça n’annihile pas le besoin de retrouver certains endroits familiers.
Lyon
Néanmoins « rentrer en France » a un coût. La pandémie a forcé beaucoup à reporter des voyages prévus de longue date mais qu’en serait-il sans pandémie ? Rentrerais-je plus souvent en France ? Lorsque j’ai emménagé au Mexique je songeais que j’y retournerais deux fois par an. Je me suis vite rendu compte que cela était ambitieux d’un point de vue financier, sans parler du fait que le Mexique n’octroie que très peu de jours de vacances. J’ai alors pensé que j’irais une fois par an en mais voyager en France signifie aussi de ne pas voyager ailleurs. On ne peut pas tout avoir. J’ai ainsi annulé un voyage aux Etats-Unis en octobre 2020 : cette année-là, je n’étais pas retournée en France priorisant un autre voyage dont je rêvais depuis longtemps (et qui incluait courir le marathon de Chicago). J’ai finalement tout décommandé à cause de la pandémie alors que les billets d’avion avaient été achetés et les hôtels réservés. Je me souviens m’être dit alors que ce n’était que partie remise pour 2021. Mais le manque de la France et de mes proches s’est fait sentir et j’ai alors décidé cette année de renoncer à nouveau à cette aventure. En définitive, il faut toujours choisir.
J’ai donc voyagé en France en août dernier et chose que je n’avais jamais faite : j’y suis restée un mois complet. Or un mois, c’est beaucoup, en particulier désormais que j’ai mon entreprise, à savoir un showroom de robes de mariée de créateurs français. Je savais au fond que ce n’était pas raisonnable mais j’avais tant de personnes à voir, tant de choses à faire et comme un sentiment bizarre de vouloir rattraper le temps perdu. Je n’avais alors pas conscience qu’une telle chose est impossible. On ne rattrape pas le temps : le temps il passe et c’est foutu. Ce n’est pas grave, c’est juste un fait, c’est comme ça.
Un mois c’est beaucoup et paradoxalement ce n'est rien. Je garde le sentiment que tout est passé trop vite, que le temps a joué contre moi et qu’en définitive je n’ai pas eu le temps. Je n’ai pas vu toutes les personnes que je souhaitais (certaines me l’ont fait payer…), je n’ai pas eu suffisamment de jours auprès de ceux à qui j’ai rendu visite, je n’ai pas fait assez de lessives pour profiter de l’odeur de l’Arbre Vert, je n’ai pas mangé assez de Chocapic et de confiture de rhubarbe, je ne suis pas non plus allée dans ma pâtisserie favorite de Paris. Pourtant j’en ai fait et j’en ai vu des choses. Trois jours sur la côte du Pays-de-Loire, une journée à Lyon, deux jours en Champagne, deux jours en Allemagne, deux jours dans la vallée de Chevreuse, une semaine en Bretagne, le tout parcouru de rapides incursions en région parisienne. J’ai traversé le mois ma valise cabine à la main presque dans un état extatique. Il y avait le désir de tout faire et de tout manger, pire de me gaver de tout ce qui m’avait manqué. Puis il y avait l’envie de passer le plus de temps possible auprès des miens repoussant chaque soir l’heure du coucher. Mais lorsque je me glissais dans mon lit, épuisée, il me restait à répondre aux clientes qui avaient alors sept heures de moins au Mexique. Puis le soleil se levait et une autre journée plus riche que la précédente commençait. Le mois est passé comme un tourbillon et sans que je ne parvienne véritablement à atterrir il fallait déjà remonter dans l’avion en sens inverse.
Mais je mentirais si je disais que tout fut parfait. Quelle chose étrange de fouler la terre qui nous a vu naître et de ne pas complètement la reconnaître. Quel curieux sentiment que de se sentir étrangère dans le pays où j’ai grandi, comme « décalée » par rapport à ce qui m’entoure. Est-ce la France qui a changé ? Ou bien moi, ou bien les deux ? J’ai le sentiment d’avoir pénétré dans une autre dimension. Le rapport à la pandémie est différent du Mexique, j’ai l’impression que les choses sont prises à la légère. C’est sûrement parce-que le gouvernement français a pris de véritables mesures sanitaires. Au Mexique, les frontières sont restées ouvertes (on ne demande même pas un test PCR ou antigénique négatif à l’arrivée) et beaucoup d’amis ont perdus leurs parents…Alors oui, les perspectives sur la pandémie ne peuvent qu’être différentes. J’aimerais bien expliquer les différences, j’aimerais bien dire qu’au Mexique personne n’a reçu aucune aide sociale, que le chômage technique n’existe pas mais à quoi bon ? J’ai essayé mais ça ne sert à rien. On n’explique pas des mondes différents. Une proche m’a ainsi dit : « Oh tu ne vas pas nous servir ta sauce d’expatriée ». Non, je ne la servirai pas, je ne la servirai plus puisqu’elle n’intéresse personne.
Les vignobles champenois
Comme l’écrit Nancy Huston, Canadienne immigrée en France, dans son essai Nord Perdu en 1999 : « Là, vous taisez ce que vous faites. Eh oui ! Ce que vous pensez, dites, lisez, voyez dans la vie de tous les jours depuis des décennies n’a aucun intérêt pour les gens de chez vous. Parce qu’ils ne connaissent pas, ce n’est pas la peine, vous n’avez pas envie de leur expliquer en long en large Chirac, Mitterrand, Duras, la place des Vosges au petit matin, votre boulangère, votre éditeur, France Culture, vos voisins du Berry, vos amis, ce serait assommant, et par où commencer, et donc vous vous taisez, vous souriez, vous leur parlez de Bill Clinton et de Philipp Roth, du Fine Arts Museum et du Boston Harbor, de la vague de chaleur en Floride et des télévangélistes, ainsi de suite, pourquoi pas, vous connaissez cela aussi, plus ou moins, et quand vous ne connaissez pas il vous est toujours loisible d’écouter, ça ne fait pas de mal ». [Lire Être expatrié : ni déraciné, ni enraciné.]
Les alignements de Carnac - Bretagne
On a beau retrouver ses proches et certains repères lorsque l’on rentre en France, on se sent quand même un peu seul, aussi seul que lorsque nous sommes dans notre pays d’adoption car le système de références dans lequel nous avons grandi est différent, ce même système de références que nous peinons désormais à reconnaître lorsque nous retrouvons notre terre d’origine. Qui sommes-nous ?
Au fond, je ne serai peut-être jamais vraiment chez moi au Mexique. Les différences culturelles sont trop grandes : voir Contre la pression sociale, la liberté de choisir ou 10 différences entre la France et le Mexique. Je serai toujours un peu trop critique et un peu trop râleuse, pas assez « famille » et trop indépendante, pas assez dans le moule et trop franche. Je ne serai jamais adepte des déjeuners en famille le dimanche, je ne serai jamais la belle-fille dont mes beaux-parents rêvaient, je ne serai jamais à la hauteur de ce qu’on attend de moi et d’une certaine manière il faudra toujours que je m’excuse d’être qui je suis. Mais chaque fois que je « rentrerai » en France, je chercherai désespérément des repères, un endroit, une odeur auxquels me raccrocher parce-que les choses ont changé et parce-que j’ai moi-même changé.
Auray - Bretagne
Il y a peu, j’ai fait la connaissance de J. Lui et sa famille, Français, vivent au Mexique depuis presque une dizaine d’années. Au début, ils voyageaient régulièrement en France. Désormais ils le font moins au profit d’autres découvertes. En écoutant J., je me suis non seulement aperçue que je suis loin d’être la seule à ressentir ce que je ressens mais surtout que je dois me défaire de ce sentiment de culpabilité qui m’envahit chaque fois que je ne vais pas en France. Mes proches sont les bienvenus quand ils le souhaitent au Mexique et même si c’est moi qui ai pris la décision de partir, cela ne signifie pas que je suis « tenue » de « rentrer ». Il est indéniable que certains êtres chers me manquent mais de la même façon que j’ai volé de mes propres ailes en décidant de m’établir sur un autre continent, je dois continuer de mener ma vie en m’ôtant le poids de la culpabilité. Je me sens parfois raccrochée par des liens invisibles, l’injonction de « rentrer », une forme de « devoir » mais il n’appartient qu’à moi de lâcher prise. Je dirais « let it go » en anglais ou « soltar la cuerda » en espagnol.
Paris
Il est indéniable que la France me manque et que le simple souvenir de mes errances dans les rues de Paris me rend nostalgique. J’ai en outre le désir de partager mes racines avec Andy. Mais je ne peux pas/plus vivre seulement guidée par la perspective des « retours » en France. L’expatriation et plus encore l’émigration ont fait de moi un être hybride dont la définition est peut-être de n’appartenir à partout et nulle part. Elles ont renforcé mon envie d’aller vers ce que je ne connais pas et même si la pandémie et le lancement de ma boîte ont certainement rebattu les cartes du jeu, j’ai toujours besoin de me créer de nouveaux souvenirs, des souvenirs différents, des souvenirs au goût d’aventure, des souvenirs d’ailleurs.
Il ne s’agit pas de « renoncer » à la France, il ne s’agit pas de « couper les ponts » avec la terre qui m’a vu naître et mes proches sinon de rompre certaines chaînes qui me raccrochent en arrière. Il s’agit de chercher un nouvel équilibre, dépourvu de culpabilité. Il s’agit d’écrire de nouvelles pages selon mes propres codes. Il s’agit de faire peut-être d’autres choix. Il s’agit de tisser de nouveaux fils et d’explorer de nouveaux chemins.
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