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Tulum avant les bobos



Nous sommes en 2015. Cela fait peu de temps que j’ai rencontré Andy et nous décidons de partir une semaine à Tulum. Mon guide du routard en fait l’apologie et d’après les photos qui apparaissent sur Google ça semble être un paradis sur terre : plages de sable blanc, eaux turquoises, palmiers…le rêve quoi. En plus, je viens de trouver un hôtel en promotion sur Booking face à la mer.


À notre arrivée, nous nous apercevons que l’hôtel est en cours de rénovation, ce qui expliquait sûrement la promotion…Mais notre hôte nous offre immédiatement de nous surclasser, sans frais supplémentaire, avec une chambre donnant directement sur la mer et assez éloignée de la construction en cours. Le lieu ne dispose pas de l’électricité courante mais j’adore l’éclairage à la bougie le soir et le fait qu’on vive au rythme de la lumière du jour, c’est-à-dire se lever très tôt le matin et se coucher relativement tôt le soir.


Nous sommes en décembre mais durant la période qui précède les vacances de noël. Il y a très peu de gens et nous avons un peu le sentiment d’être seuls au monde. Il faut dire que les hôtels sont peu nombreux et que le lieu semble plutôt préservé. Nous sommes bien loin de la saturation de Cancun et Playa del Carmen plus au nord.


Le matin, nous prenons notre petit-déjeuner dans un café proche de la mer qui s’appelle Tunich. Ses propriétaires, un couple de canadiens parents de deux enfants, viennent juste de démarrer leur affaire. C’est hyper frais, délicieux et l’atmosphère très détendue. Tout au long de la semaine, nous dînons dans les différents restaurants du bord de mer. Nous nous faisons alors la remarque que c’est tout de même assez cher et sommes surpris que plusieurs établissements fassent payer en dollars.


Nous profitons des vélos prêtés par l’hôtel pour explorer le village ainsi que visiter les ruines, les seules qui se trouvent en bord de mer au Mexique : c’est magique. Nous partons également explorer une cenote, gouffre rempli d’eau. Et bien-sûr nous profitons de la mer même si nous sommes tout de même gênés par les sargasses, un type d’algue brune malodorant. En outre, je ne manque pas de noter que la réalité est quand même un peu éloignée des photos. L’eau n’est pas franchement turquoise mais je mets ça sur le compte des sargasses.



Cinq ans et demi plus tard, nous gardons un très joli souvenir de notre semaine à Tulum mais nous savons que c’est une expérience que nous ne renouvellerons pas. Nous savons que Tulum a trop changé. Nous nous sommes aperçus que l’hôtel où nous avions séjourné – l’Azulik – a quintuplé ses prix. Ce n’est plus un lieu intime mais au contraire un complexe (prétendument naturel) avec un immense bar logé entre les arbres où affluent des masses de touristes. En outre, les groupes hôteliers se sont multipliés. Tous se voient affublés d’adjectifs comme « boutique », « boho », « natural », « exclusive »…, proposent des cours de yoga et même des inscriptions à des témazcal[1]. Et tous ont des prix très élevés, en particulier ceux du bord de mer qui commence franchement à être saturé.

Des groupes immobiliers sont par ailleurs en train de construire des résidences d’appartements comme ce fut le cas à Cancun et Playa del Carmen quelques années plus tôt. Leurs dépliants annoncent aux acheteurs potentiels des engagements écologiques, une vie au cœur de la jungle dans une ambiance naturelle et préservée. Ils ne précisent pas bien-sûr que pour construire ces fameuses résidences, ils détruisent la jungle…Cherchez l’engagement écologique…Ils ne précisent pas non plus les conditions de travail des ouvriers, généralement ni équipés de casque et de chaussures de sécurité, ni enregistrés à la sécurité sociale (s’ils ont un accident, ce sera pour leur pomme).


Certains argumentent que tout ça fait fonctionner l’économie mexicaine. Ce qui est triste, c’est que 95% des Mexicains n’auront jamais les moyens d’acheter un appartement dans ces nouvelles résidences. Je pourrais comparer cette situation à ce qui s’est produit à San Miguel de Allende, ville coloniale de l’Etat de Guanajuato. Prise d’assaut par les investisseurs elle est aujourd’hui habitée par des Américains et Européens, mais certainement pas par des Mexicains qui n’ont pas les moyens de s’y payer un loyer. Cela s’appelle la gentrification.


Outre le fait que les hôtels et les restaurants de Tulum ne désemplissent pas, les dommages environnementaux sont incommensurables, mais on s’en fiche parce-que là encore, « ça fait marcher l’économie » (sans pour autant améliorer la qualité de vie des locaux).



Mais le plus curieux c’est que Tulum est désormais dépeint comme un paradis hippie. Beaucoup semblent oublier que le mouvement hippie était un mouvement de contre-culture, de contestation de l’ordre établi, et notamment d’opposition à la société de consommation…Je ne crois pas qu’un hippie aurait dépensé 500 dollars la nuit ou 100 dollars pour participer à un témazcal…Plus qu’un paradis hippie c’est surtout devenu une destination vacances hyper bobo. Ce n’est pas pour rien si Dior y a installé un pop-up store…


Je m’interroge toujours sur ce phénomène croissant de destruction au profit du tourisme et d’arguments supposés économiques. Que sera notre Terre quand nous aurons tout abattu, tout brûlé, tout consommé ? Que nous restera-t-il ? Que ferons-nous de nos dollars ?


Je songe à la réserve naturelle de Cabo Pulmo en Baja California Sur. Durant des années, les pêcheurs se sont battus contre les grands groupes hôteliers et les magnats de l’immobilier afin de préserver l’environnement et la vie marine. Ils sont parvenus à empêcher l’implantation d’hôtels dans la réserve, les hébergements se concentrant donc sur San José del Cabo et Cabo San Lucas. Pourtant, quand je vois ce qui se passe à Tulum, je crains que la menace pèse à nouveau un jour…


Plage vierge de Cabo Pulmo


Quand la pandémie de COVID-19 a débuté il y a de ça environ un an et demi, certains voyaient un futur prometteur. Nous allions apprendre à consommer plus intelligemment, nous allions enfin apprendre à préserver notre planète, ce serait bientôt la fin de la société de consommation, etc, etc…Pourtant rien n’a changé. Les gens n’ont pas arrêté de manger de la nourriture industrialisée cancérigène et riche en sucre, ils continuent d’acheter des produits à 90% inutiles qu’ils jetteront quelques mois après et en définitive le capitalisme règle toujours en maître.


L’Histoire a démontré que certes nous évoluons mais pas que nous apprenons. Les pandémies se répètent, les conflits armés et les guerres persistent, l’avidité de pouvoir et de possession perdure et nous continuons de détruire la nature, pourtant notre plus belle alliée, le cadeau que nous devrions le plus chérir.


Il fut un temps où Tulum était un paradis sur Terre. C’est aujourd’hui un énième spot de vacances à la mode, chaque jour un peu plus saturé, chaque jour un peu plus dénaturé.



Quand saurons-nous nous arrêter ?


[1] Rituel de purification ancestral préhispanique aux propriétés médicinales qui se tient dans une hutte où règne une très forte température générant un processus intense de sudation.


 

*Si vous souhaitez en savoir plus à propos des sargasses, je vous invite à lire cet article de GEO de 2019 : L'origine des invasions d'algues sargasses sur les plages des Caraïbes enfin élucidée ?


*Enfin j'ai publié il y a un certain temps maintenant un article sur l'Indépendance mexicaine à San Miguel de Allende ainsi que La Baja California Sur: mon petit coin de paradis au Mexique.

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